Le deuil est une expérience cruciale, critique et pénible qui intervient aussi bien dans la sphère sociale que dans la sphère psychologique. « Faire son deuil » englobe des situations plurielles qui ne se réfèrent pas forcément à la mort réelle d’une personne.
LES TROIS TEMPS DU TRAVAIL DE DEUIL
Toutefois, la perte d’un être cher est une épreuve tristement lourde et douloureuse, car elle renvoie l’endeuillé à sa relation avec le défunt. C’est bien la nature de ces liens qui fait du deuil un moment à la fois singulier, personnel et unique. Selon le psychiatre, psychologue et psychanalyste français Michel Hanus, le deuil débute dans un premier temps par un état de choc, suivi d’un état dépressif. La période associée au choc se déroule en plusieurs étapes. Tout d’abord, il y a la sidération, l’abattement, la stupéfaction puis le refus. Le caractère inattendu de la mort rend le choc d’autant plus violent. De plus, il peut s’accompagner de manifestations psychosomatiques et affectives. Le refus de la perte s’actualise quant à lui par un abattement, une immobilité et un recueillement.
L’état dépressif est l’expression de la souffrance et de la perte. Le travail de deuil se réalise par le désinvestissement de l’objet perdu : les souvenirs et les espoirs en lien avec le défunt sont remémorés et confrontés à la réalité. Ce rapport entre le vécu du défunt et sa disparition provoque tristesse, nostalgie et solitude.
Enfin, le travail de deuil mûrit et fait place au rétablissement. Les représentations attachées à la personne défunte sont moins présentes, la douleur est apaisée et intériorisée. Elle peut à présent donner lieu à la capacité d’aimer de nouveau et de recréer des liens objectaux. Cependant, la réalisation du deuil peut être entravée soit par sa prolongation dans le temps, soit à cause de perturbations diverses. Le travail de deuil peut aussi se bloquer dès l’annonce du décès ou à l’entrée de la phase dépressive décrite précédemment. Le deuil prend alors la forme d’un deuil traumatique ou d’une dépression majeure réactionnelle.
LA MORT ET L’ENFANT
Les enfants développent un intérêt précoce pour la mort. Le petit garçon animé par la poussée de désirs agressifs commence à jouer à la guerre ou à tuer pour de faux. La petite fille, quant à elle, questionne le cycle de la vie, la naissance des bébés, le mariage, la vieillesse et la mort. Leur soif de connaissance est stimulée par le mystère entourant la mort. Les représentations qu’ils s’en font forment un ensemble de savoirs à la fois subjectifs et objectifs, qu’ils développent dans le temps. Leur conception de la mort est relativement floue, souvent associée aux images que peuvent véhiculer les médias. De près ou de loin, tous les enfants sont un jour exposés à la mort, que ce soit à travers la perte d’un animal domestique, d’un objet fétiche, d’un aïeul ou d’une connaissance.
Le déroulement du deuil chez l’enfant comporte certaines spécificités. La première consiste à garder « vivant » le mort en l’intégrant par l’imaginaire à son monde interne. L’enfant attendra ainsi son retour jusqu’à l’entrée en adolescence. Il peut dans ce cas continuer à s’adresser au défunt, en lui écrivant ou en lui parlant. Ces actes sont un moyen pour lui d’investir la personne disparue dans son quotidien. Ces manifestations sont tout à fait normales et lui assurent un support nécessaire et rassurant dans le processus de deuil.
La deuxième particularité, toujours en lien avec l’investissement des souvenirs, se rencontre dans le besoin qu’a l’enfant de posséder un objet ayant appartenu au proche. Cet objet est un lien qui s’inscrit dans le registre de la succession.
Enfin, la troisième particularité du deuil chez l’enfant repose sur la création d’un certain nombre de jeux. L’enfant va par exemple mettre en scène la mort, en réinterprétant l’enterrement auquel il a pu assister, ou bien jouer à « faire le mort ».
Les conceptions de la mort chez l’enfant varient en fonction de sa maturation pulsionnelle et de son développement intellectuel. La représentation de la mort découle aussi en partie de l’interaction avec les membres de la famille, de la manière dont ils parlent et vivent le décès du proche.
Avant deux ans, l’enfant n’a pas de notion de la mort. Il ne connait que la séparation avec sa mère et assimile le sommeil à la mort. Ce phénomène est donc perçu à la fois comme temporaire et comme une prolongation du cycle de la vie : la mort n’est pas une fin mais un nouvel état. L’enfant ne différencie pas encore l’animé de l’inanimé, les éléments se suivent ainsi placés dans le même registre.
Entre cinq et neuf ans, l’enfant évolue dans le registre de l’animisme. La mort devient alors l’un des personnages peuplant son univers imaginaire. Elle est vécue comme un élément extérieur et lointain dont il pourrait aisément se passer. La notion d’universalité de la mort n’est pas encore acquise.
De neuf à douze ans, la mort est comprise dans son irréversibilité et associée à l’arrêt des fonctions vitales. L’enfant a intégré que la mort fait partie et conclut le cycle de vie de l’homme. Le travail de deuil peut se réaliser même si la conception de la mort est incomplète.
LE TRAUMATISME DE LA PERTE
Chez l’enfant, la mort d’un parent a un effet destructeur car elle vient ébranler son sentiment de sécurité personnelle. Il est souvent difficile de déterminer où le chagrin prend fin et où commence le traumatisme. Les deux processus s’entremêlent avec complexité. La prédominance de l’un ou de l’autre résulte d’un ensemble de facteurs externes et internes. Ces circonstances externes regroupent l’ensemble des caractéristiques entourant la mort de l’être aimé : le fait que l’enfant ait eu connaissance antérieurement de la mort de son parent, qu’il en ait été ou non le témoin, mais aussi de la manière dont a été réalisée l’annonce de ce décès.
La douleur morale intense liée à la perte de l’être aimé représente un risque pour l’évolution normale de l’enfant, c’est pourquoi il est primordial qu’il soit soutenu et accompagné dans le processus de deuil. Chez l’enfant, le travail de deuil repose sur des étapes pouvant se croiser dans leur efficience : le renoncement à l’espoir de retour du parent décédé, l’intégration du souvenir du disparu dans une nouvelle réalité du Moi et l’acceptation d’une autre figure d’attachement garante de nouveaux liens affectifs.
Toutefois, les figures d’attachement ne sont pas interchangeables. La relation passée avec le parent défunt ne peut se transférer sur un autre objet sans rencontrer des difficultés. En effet, il n’est pas deux amours semblables chez l’enfant. Une personne aimée ne peut en remplacer une autre et ne peut se substituer malgré le réconfort qu’elle lui apporte dans la perte. Dans ce contexte, le deuil peut se compliquer par l’apparition d’une anxiété excessive et persistante, d’auto-reproches, de culpabilité, d’hyperactivité, d’agressivité et de comportements destructeurs.
Ces manifestations du deuil compliqué chez l’enfant auraient pour vocation de lutter contre la représentation du « mort » immobile. Par exemple, le développement de l’hyperactivité viendrait s’opposer à la passivité du corps mort et constituerait alors une défense pour l’enfant.
LA MORT INATTENDUE D’UN OU DES PARENTS
Être témoin du décès de son parent constitue une menace effractant le sentiment de sécurité de l’enfant. L’aspect inopiné de cette mort peut aggraver la sévérité de l’état émotionnel, car les enfants et l’entourage n’y sont pas préparés. Même si l’enfant n’a pas été présent au moment du décès, il peut développer un traumatisme par procuration, en entendant des descriptions relatives à la mort du proche. Il devient ainsi le témoin de la détresse des autres membres de la famille.
Le fait d’avoir été le témoin d’une mort violente complique le travail de deuil. L’enfant est assailli par la réminiscence d’images terrifiantes, qui se traduit par une peur et une désorganisation interne intense. L’enfant peut développer de nouvelles peurs en écho au souvenir traumatique. De même, ces angoisses peuvent se greffer à l’inquiétude d’être à son tour affecté par la mort.
Pour l’enfant, dont l’évolution psychique est constante, le deuil est toujours en partie un deuil compliqué. Lorsqu’il assiste à la mort violente d’un de ses parents, son agressivité peut s’en trouver exacerbée. Elle peut être considérée comme un moyen de lutter contre le danger perçu. Face à la menace, les enfants traumatisés sont souvent pris dans une escalade d’agressivité faisant office de protection. C’est pourquoi ce mécanisme de défense doit être particulièrement pris en compte dans le suivi thérapeutique. Celui-ci peut prendre la forme d’une vengeance dont le but premier est de réparer l’injustice perçue. Le destin de l’agressivité comme vengeance se décline dans les jeux et les relations entretenues avec l’entourage.
Lorsque les enfants reconnaissent la mort comme étant la séparation ultime, les manifestations du deuil s’apparentent à celles de l’adulte. Ils suivent les mêmes phases : le choc, la dépression et la terminaison du deuil. Toutefois, le vécu de ces différents moments s’opère et s’exprime différemment. Les enfants font l’expérience du deuil mais ne peuvent l’achever complètement en raison de l’évolution de leur développement personnel et identitaire. En effet, il s’agit d’un deuil différé, qui viendra s’actualiser et s’élaborer à l’âge adulte.
Gabrielle Luciani
BIBLIOGRAPHIE
Hanus M. (2006). Les deuils dans la vie. Deuils et séparation chez l’adulte et l’enfant. Préface de Serge Lebovici. Maloine, 3e édition.